La Croix : En tant que médiatrice de l’éducation nationale, vous avez été chargée de gérer les conflits entre des jeunes filles voilées et l’école de 1994, lorsqu’a été publiée la circulaire Bayrou établissant une différence entre symboles « discrets » autorisés et « ostentatoires » interdits, à 2005, après la loi proscrivant les signes religieux ostensibles. Quel bilan dressez-vous de cette loi ?

Hanifa Cherifi : « Entre 1994 et 2004, j’ai eu à gérer des centaines de situations souvent très tendues, marquées par des grèves, des assemblées générales dans les établissements. L’opinion – et les enseignants – étaient divisés entre ceux qui s’émouvaient de voir des jeunes filles de milieux défavorisés sortir de l’école et ceux qui voyaient surtout l’atteinte à la laïcité. La loi a mis un terme aux exclusions intempestives – et illégales – de jeunes filles voilées. Grâce à l’énorme travail d’information et de formation mené par l’Éducation nationale dans les six mois entre son vote et son application, leur nombre a drastiquement diminué ensuite. Ceux qui critiquent la loi ne se souviennent pas que l’on vient de très loin : ce texte a permis à la société de comprendre que la scolarisation de ces jeunes filles ne se heurte pas à leur appartenance religieuse. Ceux qui qualifient cette loi de liberticide se trompent.

Certains, y compris au sein des représentants de l’islam de France, redoutaient une fuite des élèves vers les établissements confessionnels. Qu’en dites-vous aujourd’hui ?

H.C. : Rien de tel ne s’est produit, les départs du public vers le privé n’ont pas été plus nombreux après le vote de la loi. Parmi les 45 jeunes filles exclues la première année de l’application de la loi, peu se sont d’ailleurs inscrites au lycée Averroès à Lille, mais il est vrai que certaines ont rejoint des établissements en Belgique. Quant à la création de nouveaux établissements musulmans, il s’agit là d’un processus relativement logique, dans le cadre de l’installation de l’identité musulmane en France. Comme avec les établissements catholiques ou juifs, le choix est possible pour les familles.

Que penser de ces vêtements portés par certaines jeunes filles (robe ou jupe ample, gants) ou jeunes garçons (djellaba) dans les établissements scolaires ? Faut-il les interdire aussi ?

H.C. : Assimiler ces tenues à des signes religieux serait contraire à la loi, et aller jusqu’à l’exclusion serait contre-productif à mon avis. Chez les jeunes, détourner la loi est quasiment systématique à un certain âge. Et puis, il suffit de se poster devant un collège ou un lycée pour voir que les tenues sont aujourd’hui des plus diverses… Je pense que nous avons progressé dans la compréhension de ces signes distinctifs, qui répondent avant tout à une logique identitaire. Dans les pays d’origine de ces jeunes comme chez une partie des musulmans de France, on voit bien que la dimension religieuse a pris depuis quelques années une place prépondérante dans l’appartenance identitaire, quitte à absorber toutes les autres composantes qu’elles soient linguistiques, culturelles, ethniques, etc. Mais je vois des enseignants faire un travail très intéressant, en classe, pour redonner sa juste place à la religion…