“L’existence de près d’un milliard d’êtres humains est menacée par la désertification.” C’est en ces termes que le président sénégalais Abdou Diouf ouvrait, le 30 novembre dernier, à Dakar, la deuxième Conférence de l’ONU sur la désertification. Ce fléau touche plus de cent pays. Pas moins de 3,5 milliards d’hectares de terres seraient déjà dégradés à différents degrés, soit près de 70 % de l’ensemble des surfaces sèches cultivables du monde – on entend par là les terres hyperarides, arides, semi-arides et subhumides sèches, c’est-à-dire 41 % de la surface terrestre du globe. Ces dernières, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), perdraient 10 millions d’hectares supplémentaires par année. Autrement dit, chaque année, l’équivalent de la superficie du Portugal devient incapable de soutenir l’agriculture, irriguée ou non, ou l’élevage. Du Canada à la Namibie, en passant par le Sahel, l’Afghanistan, les côtes de la Méditerranée, l’Australie ou encore l’Amérique du Sud, aucun continent n’est épargné. Au total, le PNUE estime à 40 milliards de dollars les pertes dues à la désertification.

Autrefois, les régions sèches se ressourçaient sans difficulté

L’image des dunes de sable qui avancent à l’assaut des terres cultivées est définitivement désuète. En moyenne, les déserts n’avancent pas plus qu’ils ne reculent. Ils forment en fait des écosystèmes naturels, dont les limites fluctuent d’année en année, selon que la pluie a été au rendez-vous ou non. Pour les scientifiques, le phénomène de désertification répond à une définition bien plus précise. Le chapitre XII d’Action 21, le plan d’action pour l’environnement adopté à Rio de Janeiro en 1992, caractérise la désertification comme la “dégradation des sols en région aride, semi-aride ou subhumide sèche à cause de divers facteurs comme les changements climatiques et l’activité humaine”. Le résultat du processus ne peut donc être limité à l’apparition d’une étendue purement minérale d’où la vie est définitivement bannie, mais représente plutôt une gamme de paysages divers dont les ressources naturelles sont fortement diminuées. Le désert n’avance pas, mais de nouvelles zones arides apparaissent.
Selon les experts, la désertification est surtout un problème socio-économique. En effet, les terres se dégradent sous la pression démographique et en raison de pratiques d’exploitation du sol qui ne respectent pas les règles du développement durable. Autrefois, les régions sèches souffraient durant les années où il ne pleuvait pas, mais se ressourçaient sans difficulté lorsque la pluie se remettait à tomber. Aujourd’hui, cela devient impossible. De plus en plus, les paysans des régions en développement doivent augmenter leur production de céréales ou de bétail s’ils veulent survivre dans des situations économiques en général totalement défavorables. Le surpâturage est l’une des premières causes de désertification dans les régions qui se trouvent en marge des zones arides.
Par ailleurs, ces mêmes pays encouragent les monocultures sur leur territoire pour tenter d’entrer dans des marchés internationaux entraînés dans la mondialisation. Ce type d’exploitation agricole favorise l’apparition de maladies, contre lesquelles est déployé l’arsenal des engrais et des pesticides. Du point de vue de la terre, cela revient à combattre le mal par un autre mal. Les forêts tropicales, quant à elles, saignées à blanc, donnent tout leur bois précieux sans que quiconque ne se soucie de remplacer les arbres. La liste n’est pas exhaustive, loin de là. Il n’en reste pas moins que cette utilisation excessive d’un sol souvent fragile au départ laisse le champ libre à l’érosion. La pluie, le ruissellement, le vent et les autres éléments achèvent finalement la terre, déjà épuisée par l’activité humaine.

El Niño favorise des incendies ravageant des milliards d’hectares

Comme pour donner le coup de grâce, le réchauffement de la température moyenne de la Terre vient aggraver la situation. En grande majorité, les régions chaudes et sèches sont soumises à un stress supplémentaire dû aux changements climatiques. Les phénomènes météorologiques inhabituels, telle la perturbation climatique El Niño, n’arrangent rien : d’un côté, celui-ci assèche certaines parties du monde, favorisant par exemple la propagation des incendies, qui ont ravagé des centaines de milliards d’hectares en Indonésie, au début de l’année 1998 ; de l’autre, il provoque de fortes pluies dans des régions qui n’en ont pas l’habitude – le Chili et le Pérou ont ainsi connu de nombreuses coulées de boue dévastatrices. Toutefois, le lien direct entre El Niño, événement relativement ponctuel, et la désertification, phénomène qui s’étale sur des décennies, n’est pas évident.